Article
* Dans la présente page, l’usage du genre masculin a été adopté afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire
Introduction
Un professionnel de la santé fait face à différents patients dont les caractéristiques individuelles de même que les problèmes de santé variés influent tout autant sur leur santé. C’est le cas des patients analphabètes qui naviguent dans un système de santé de plus en plus axé sur la communication écrite. Toutefois, avant de comprendre la réalité de ces patients, il est important de s’attarder à la définition de l’analphabétisme.
L’analphabétisme ne se définit pas seulement par l’incapacité à lire et écrire. En effet, la plupart des analphabètes décodent les mots qu’ils lisent, mais n’arrivent souvent pas à comprendre le sens du texte (1). Ils ne peuvent donc pas utiliser l’information qui est généralement nécessaire à leur bon fonctionnement en société. De plus, ces personnes ont souvent une faible littératie en santé puisqu’elles ne peuvent pas déchiffrer et communiquer adéquatement l’information qui contribue au maintien d’un bon état de santé et à l’accès aux soins et autres services de santé(2). La littératie en santé se définit comme « la connaissance, les compétences, la motivation et la capacité d’un individu à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des informations sur la santé lors de la prise de décisions dans les contextes des soins de santé […] (3) »
L’analphabétisme et la pharmacie
Selon les données compilées par la Régie de l’assurance maladie du Québec (Figure 1), les patients qui fréquentent le plus souvent la pharmacie sont les personnes de 60 ans et plus (4,5). Ces dernières ont généralement une faible littératie en santé6. En effet, 95% des personnes âgées de 65 ans et plus ne possèdent pas le niveau jugé minimal de littératie en santé (6). Ainsi, l’analphabétisme est une réalité indéniable pour la pratique en pharmacie communautaire.
Avant de devoir faire face à cette barrière qu’est l’analphabétisme pour certains patients, les professionnels de la santé doivent savoir reconnaitre les personnes ayant un faible niveau de littératie. Cependant, beaucoup de professionnels de la santé ont de la difficulté à cerner ce type de patients. En effet, un sondage effectué par Chan et al. démontre que même si 84% des pharmaciens sondés sont familiers avec le concept de faible niveau de littératie en santé, 47% d’entre eux ne reconnaissent pas les patients qui correspondent à ce niveau (7). Ainsi, les pharmaciens tendent à surestimer les compétences de leurs patients et ont donc une approche inadéquate lorsqu’ils présentent l’information à leurs patients âgés analphabètes (8).
« Nombre d’ordonnances par personne parmi celles ayant adhéré au régime public d’assurance médicaments, selon le sexe et selon le groupe d’âge, Québec, 2011 » (4).
Témoignages
Afin de palier cette disparité cette disparité qui peut être présente entre le savoir des pharmaciens et la compréhension de leurs patients analphabètes, il est primordial d'établir un partenariat entre le patient et le professionnel de la santé lors de l'élaboration d'un plan de soins. Ainsi, ce partenariat peut se faire à travers le partage des savoirs et des compétences de chacun. C'est pour cette raison que nous sommes allés à la rencontre de plusieurs patientes analphabètes. Le recueil de leurs témoignages nous a permis de mieux comprendre leur réalité quant à leurs recours aux services pharmaceutiques.
La rencontre avec les patientes analphabètes s’est faite dans le cadre d’un partenariat avec le Centre de lecture et d’écriture de Montréal (CLÉ). CLÉ Montréal est un organisme communautaire d’alphabétisation populaire qui a pour mission d’aider les personnes analphabètes à développer leurs capacités à lire, à écrire et à s’informer. L’organisme offre des ateliers en petits groupes qui permettent aux participantes d’apprendre à leur rythme et en se basant sur leur vécu.
Lorsqu’ils doivent se rendre à la pharmacie pour aller se procurer de nouveaux médicaments, certains ressentent du stress et d’autres ont une crainte de se faire juger. Comme mentionné par la patiente qui suit, on remarque que certains ont aussi de la difficulté à se faire confiance pour poser leurs questions.
«C'est parfois difficile de poser des questions et savoir quels mots utiliser si on ne parle pas bien français. Les mots peuvent être difficiles à comprendre. C'est difficile de formuler nos questions pour bien demander les choses.»
- Participante de CLÉ
«Les médicaments se ressemblent, il faut lire avant de les prendre»
- Participante de CLÉ
Certains patients ont aussi mentionné qu’il est difficile de se souvenir des consignes que le pharmacien leur donne. Ces patients ont d’ailleurs mentionné que les instructions n’étaient pas toujours complètes sur les pots et que celles-ci étaient difficiles à déchiffrer.
Selon eux, le meilleur outil que le pharmacien leur fournit actuellement est le feuillet d’explications, car ils peuvent demander à leur entourage de les aider à mieux comprendre les informations qui s’y trouvent.
«Mes enfants peuvent m'aider à lire et à comprendre le papier.»
- Participante de CLÉ
Cependant, alors que ces patients cherchent à acquérir une meilleure autonomie en société, ils aimeraient beaucoup avoir accès à des outils adaptés à leur situation. Ils nous ont aussi mentionné que le plus important est de prendre le temps qu’il faut pour répondre à leurs besoins, d’être patient, de parler lentement et de répéter les explications.
Il fut intéressant de remarquer que ces patients ont, avec le temps, développé des trucs leur permettant de faciliter leurs échanges avec le pharmacien. Rien n’empêche que vous, pharmaciens, et nous, futurs pharmaciens, puissions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre leur quotidien plus facile.
«Avant c'était difficile, j'étais stressée. Maintenant, je ne suis plus stressée parce que j'ai des trucs.»
- Participante de CLÉ
Contexte d'utilisation
Après avoir analysé les différentes facettes de la réalité de l'analphabétisme en santé au Québec, nous avons produit une boîte à outils destinée aux pharmaciens afin de leur venir en aide quand ils pensent faire face à des patients analphabètes. Cette boîte à outils pourra vous être utile dans bien des cas. D’un côté, les outils qu’elle contient pourront vous servir lorsqu’une personne âgée semble moins bien comprendre ce que vous lui dites ou qu’elle semble mélangée dans la prise de ses médicaments. D’un autre côté, ils pourront vous servir à mieux faire comprendre les informations importantes à un patient dont le français n’est pas sa langue maternelle. Bien que des trucs pour reconnaître les patients analphabètes vous seront donnés dans cette boîte, n’hésitez pas à poser des questions à vos patients pour en connaître davantage sur leur situation. Cela vous permettra ensuite d’utiliser les outils adaptés.
Références
1 Perrin, B. (Burt Perrin Associates). Effet du niveau d’alphabétisme sur la santé des Canadiens et des Canadiennes [En ligne]. Ottawa (ON): Santé Canada, 1998 [cité le 3 fév. 2022]. Disponible : https://grandsorganismes.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers/R%C3%A9pertoire%20-%20Simplification%20des%20communications/Sensibiliser%20et%20former/Effet_du_degre_alphabetisation.pdf
2 Désilets M, Québec (Province). Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire, Racine A, Campeau J. Étude exploratoire sur l’analphabétisme en lien avec la santé et le vieillissement de la population [En ligne]. Québec : Ministère de l’éducation, du loisir et du sport; 2008. [cité le 3 fév. 2022]. Disponible: https://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs1871380
3 Sorensen K., Van den Broucke S., Fullam J., Doyle G., Pelikan J., Slonska Z. et al. Health literacy and public health: a systematic review and integra‐ tion of definitions and models. BMC Public Health, 2012, vol. 12, no 80. En ligne : https://www.ncbi.nlm. nih.gov/pmc/articles/PMC3292515/pdf/1471‐ 2458‐12‐80.pdf
4 Statistiques de santé et de bien être selon le sexe – Tout le Québec : Nombre d’ordonnances [ensemble de données en ligne]. Québec : Ministère de la Santé et des services sociaux; 2012 [modifié le 19 février 2018, cité le 30 janvier 2022]. Disponible : https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/statistiques-donnees-sante-bien-etre/statistiques-de-sante-et-de-bien-etre-selon-le-sexe-volet-national/nombre-d-ordonnances-par-personne/#:~:text=Le%20nombre%20d'ordonnances%20par%20personne%20chez%20les%20hommes%20de,les%2085%20ans%20et%20plus.
5 Ministère de la Santé et des Services sociaux [En ligne]. Québec (CAN) ; 2011. [Graphique], Nombre d’ordonnances par personne parmi celles ayant adhéré au régime public d’assurance médicaments, selon le sexe et selon le groupe d’âge, Québec, 2011 ; [cité le 3 fév. 2022] ; [environ 5 écrans]. Disponible : https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/statistiques-donnees-sante-bien-etre/statistiques-de-sante-et-de-bien-etre-selon-le-sexe-volet-national/nombre-d-ordonnances-par-personne/#:~:text=Le%20nombre%20d'ordonnances%20par%20personne%20chez%20les%20hommes%20de,les%2085%20ans%20et%20plus.
6 Dufour, I. Description de la littératie en santé des aînés à domicile au Saguenay souffrant de maladies chroniques, en lien avec leur utilisation des services de santé [mémoire en ligne]. Québec (CAN) : Université du Québec à Chicoutimi; 2016 [cité le 1 fév 2022]. Disponible :https://constellation.uqac.ca/4037/1/Dufour_uqac_0862N_10229.pdf
7 Chan S, Spina SP, Zuk DM, Dahri K. Hospital pharmacists understanding of available health literacy assessment tools and their perceived barriers for incorporation in patient education - a survey study. BMC Health Serv Res. 11 mai 2020;20(1):401.
8 Schwartzberg JG. Patient safety. Low health literacy: what do your patients really understand? Nurs Econ [En ligne]. 2002 [cité le 3 fév. 2022]; 20(3): 145-7. Disponible: https://search.ebscohost.com/login.aspx?direct=true&db=rzh&AN=106944458&lang=fr&site=ehost-live